VOST - Jeudi 28 mai, s'ouvrait le procès que François Fillon intente à Jean-Pierre Jouyet et deux journalistes du Monde pour diffamation. L'ancien Premier ministre a toujours démenti avoir demandé à l'actuel secrétaire général de l'Élysée, au cours d'un déjeuner, de "taper vite" sur Nicolas Sarkozy pour ne pas le "laisser revenir" en politique. Contrairement à ce qu'ont rapporté Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans leur livre, Sarko s'est tuer. Devant le tribunal correctionnel de Paris, François Fillon s'est donc défendu. Mais presque chacune des phrases qu'il a prononcées sonne, en creux, comme une attaque contre l'actuel président de l'UMP.
Cette déclaration devant les juges, François Fillon l'a publiée sur son blog et envoyée aux rédactions par communiqué. Il y dit notamment refuser "la salissure" que constituent à son sens ces accusations et répète qu'il veut "défendre [son] honneur et [sa] conception de la vie publique". Mais dans la suite de son intervention, on peut identifier toute une série de double-sens qui pointent tous dans la direction de Nicolas Sarkozy. Ou alors on se fait des idées... C'est ce qu'affirme son entourage, qui explique au Lab qu'il s'agit là de "pure interprétation" (voir en fin d'article).
Place au film. En version sous-titrée, donc.
# Chapitre 1 : c'est lui qui tire les ficelles
La VO :
"Je n’accepte pas une telle salissure dont je ne conçois que trop les motifs. Je n’accepte pas qu’on me prête des attitudes abjectes que toute ma vie politique vient démentir.
"
Plus loin dans sa déclaration, le député de Paris ajoute :
"Je suis, personne ne l’ignore, candidat à la Présidence de la République.
"
Les sous-titres :
"Les motifs" évoqués sont assez clairs. François Fillon est persuadé que la sortie de cette information relève d'une "opération assez lourde" conduite contre sa personne. Car il est candidat à la primaire de la droite pour 2016 et, à ce titre, estime qu'il "fait peur" à ses concurrents au sein de sa propre famille. En clair, dans son esprit, quelqu'un de haut placé à l'UMP (et candidat, comme lui) pourrait être à l'origine de ses déboires actuels.
De son côté, Nicolas Sarkozy ne croit pas un mot des dénégations de son ancien Premier ministre (même s'il affirme le contraire, officiellement). Il en est certain : François Fillon a bien cherché à faire pression sur l'Élysée pour le faire tomber. Il en garde une rancœur particulièrement forte, souhaitant voir Fillon "à terre et sans oxygène".
Le décor est planté.
# Chapitre 2 : il méprise les juges
La VO :
"J’ai toujours manifesté, dans l’exercice des fonctions publiques le respect du droit et des juges.
"
Les sous-titres :
C'est la première attaque saignante et elle fait VRAIMENT penser à Nicolas Sarkozy qui, vous le savez, a depuis quelques temps multiplié les déclarations hostiles envers une partie de l'institution judiciaire française. Après les juges d'instruction qualifiés de "petits pois" durant son mandat, l'ex-chef de l'État ainsi que sa garde rapprochée n'ont eu de cesse de dénoncer une "instrumentalisation politique" de la justice contre lui, à travers les nombreuses affaires dans lesquelles son nom est cité.
François Fillon rappelle ici, en passant, que lui ne s'est jamais livré à de telles pratiques. Et surtout pas "dans l’exercice des fonctions publiques"...
# Chapitre 3 : c'est lui qui a plein de casseroles
La VO :
"Mon nom n’a jamais été mêlé à aucune affaire judiciaire. Je n’ai jamais, comme parlementaire, comme membre du gouvernement ou comme Premier ministre, fait pression, tenté de faire pression, envisagé même de faire pression sur le système judiciaire.
Il n’existe pas un magistrat, pas un procureur qui puisse prétendre le contraire.
"
Les sous-titres :
Là encore, on pense très fort aux ennuis judiciaires de Nicolas Sarkozy. L'ex-Premier ministre semble faire une allusion particulièrement limpide à l'affaire des écoutes. En rappelant l'idée de "pression" sur la justice, ne serait-ce qu'au travers d'une intention, Fillon met sur le tapis la mise en examen pour "corruption active" de Sarkozy : il est reproché à ce dernier d'avoir promis d'aider un magistrat (Gilbert Azibert) pour l'obtention d'un poste de prestige à Monaco, en l'échange d'informations sur l'avancée d'un autre dossier judiciaire en cours, l'affaire Bettencourt.
# Chapitre 4 : c'est un traître
La VO :
"Jamais je n’aurais pu solliciter d’un collaborateur du chef de l’État une action contre un ancien Président de la République que j’ai servi et à l’égard duquel ma loyauté n’a jamais été prise en défaut. [...]
J’ai été formé par le gaullisme, par son sens exigeant de la dignité de l’État. Et j’aurais été remettre mon destin et mon honneur entre les mains de mes adversaires politiques ? Cela n’a aucun sens.
"
Les sous-titres :
Peut-être innocemment (mais peut-être pas...), François Fillon utilise le terme de "collaborateur", dont Nicolas Sarkozy l'avait affublé. Assez peu respectueux lorsqu'il s'agit du chef du gouvernement. Quelques mots plus loin, il rappelle sa "loyauté" sans faille à l'égard de l'ex-président. Il mentionne également le "sens de la dignité" qu'il conserve de son héritage gaulliste... tout cela, semble-t-il dire, à la différence de Nicolas Sarkozy, accusé à demi-mots de trahison.
On peut aussi penser à une autre trahison, commise par ce dernier envers Jacques Chirac au moment de la présidentielle de 1995, lorsqu'il avait rejoint le camp d'Édouard Balladur.
# Chapitre 5 : c'est plutôt lui qui parle comme ça
La VO :
"Pour rendre cette farce crédible, ceux qui l’ont inventée ont dû me prêter des tournures qui n’ont jamais appartenu à mon vocabulaire. Je ne me souviens pas d’avoir jamais voulu 'casser les pattes' de quiconque. Ce n’est pas seulement une question de style, c’est d'abord une question de morale.
"
Les sous-titres :
François Fillon l'affirme : il aurait été incapable de prononcer les mots incriminés. Question de "vocabulaire" et de "style", entre autres. Or, personne n'ignore le langage fleuri qu'affectionne Nicolas Sarkozy et que certains observateurs, y compris dans son propre camp, lui reprochent parfois...
# Chapitre 6 : mais il ne m'aura pas
La VO :
"Notre démocratie se perd dans ce jeu des confidences à demi sollicitées, dans ces imputations ignobles, dans cette victoire du soupçon sur la vérité. Je ne peux pas l’accepter pour mon pays, pour tout ce qui fait la grandeur de cette politique à laquelle j’ai voué ma vie. Je n’assisterai pas en spectateur à la victoire du mensonge et du calcul sur la décence et la dignité.
"
Les sous-titres :
Oubliez bien vite cette sombre histoire et votez François Fillon.
>> À lire également sur Le Lab : Selon Le Canard Enchaîné, François Fillon est "certain de faire battre" Nicolas Sarkozy à la primaire UMP
[Edit 15h20] Mais pas du tout, enfin
Après publication de cet article, l'entourage de François Fillon affirme au Lab que l'intéressé ne parle absolument pas de Nicolas Sarkozy dans sa déclaration :
"Les sous-titres sont de la pure interprétation. Ça nous paraît inacceptable. Les déclarations de François Fillon ne correspondent en aucune façon à l'interprétation qui en est faite.
"