Si vous écoutez Florian Philippot, les attaques lancées contre François Fillon sur fond de "Farid Fillon" ne sont pas le fait du Front national et relèvent, de toute façon, de la liberté d'expression .
Ça, c'est pour la théorie.
En pratique, on peut s'apercevoir très simplement que le FN, qui attaque frontalement François Fillon depuis sa victoire à la primaire de la droite au travers de moult infographies censées présenter "le vrai Fillon", relaie bien les attaques estampillées "Farid Fillon", attaques qui consistent à remplacer le prénom du candidat de la droite par un autre d'origine arabe afin de sous-entendre qu'il défend le fondamentalisme islamiste . Sur le même modèle, Alain Juppé s'était vu renommé "Ali Juppé", durant la primaire de la droite.
Comme l'a repéré le journaliste de BuzzFeed Paul Aveline, Thibault de la Tocnaye, conseiller régional de PACA et membre du bureau politique du FN, a relayé, jeudi 12 janvier, un tweet du compte @FillonFarid diffusant une bonne grosse intox contre le candidat à la présidentielle.
Résultat: 400 retweets dont des élus FN qui reprennent, ô surprise, le lexique de la fachosphère et traitent Fillon de "dhimmi". pic.twitter.com/nBGz2t7MN9
— Paul Aveline (@PaulAveline) 13 janvier 2017
Celui qui est membre de l'équipe de campagne de Marine Le Pen ajoute ce commentaire : "'Farid'ou 'pas-Farid' Fillon, en tout cas ceci démontre qu'il n'est qu'un DHIMMI, c'est-à-dire EXACTEMENT ce je combats depuis ma jeunesse !" Pour ceux qui l'ignorent, un dhimmi est le nom donné à un citoyen non-musulman d'un État musulman et assujetti à la dhimma, la dhimma étant la "protection assortie d'un statut juridique inférieur accordée aux chrétiens et aux juifs par la loi musulmane", selon la définition qu'en donne Le Larousse .
Le tweet de Thibault de la Tocnaye a lui-même été relayé par le compte officiel du FN du Vaucluse et d'autres élus frontistes. En décembre sur LCI, Florian Philippot avait assuré que l'attaque "Farid Fillon" ne "venait pas" du FN. "C'est très désagréable, je le conçois, ça ne vient pas de chez nous bien entendu", avait pour sa part assuré Marine Le Pen le 3 janvier sur BFMTV .
Le message originel posté par la compte @FillonFarid le 11 janvier reprend de soi-disant déclarations de François Fillon à l'Assemblée nationale. "J'abolirai la laïcité pour permettre à nos concitoyens musulmans de vivre pleinement leur religion", aurait dit en mars 2011 le Premier ministre devant les députés. Sauf que non, François Fillon n'a pas tenu ses propos, comme le montre la vidéo postée par… @FillonFarid.
Voici ce qu'a dit exactement François Fillon dans cette séance de questions au gouvernement du 1er mars 2011, comme l'atteste le compte rendu de séance disponible sur le site de l'Assemblée nationale :
"Monsieur de Charette, le débat qu’il y a lieu d’ouvrir dans notre pays, c’est celui sur la laïcité. La laïcité est un des principes fondateurs de notre République. La laïcité française est ouverte. La laïcité est, d’une certaine façon, une déclinaison du principe même de liberté. La laïcité, c’est d’abord la liberté de vivre sa foi tranquillement et dignement.
La laïcité, c’est ensuite la liberté de ne pas croire. La laïcité, c’est la neutralité de l’État. La laïcité, c’est, enfin, le respect des autres, c’est-à-dire le respect des règles du pacte républicain, qui permettent de vivre en harmonie.
Est-il nécessaire de réévaluer le principe de laïcité et son application pour tenir compte des évolutions de la société française ? La réponse que nous apportons à cette question est 'oui'. En particulier parce qu’il faut tenir compte d’un fait : l’augmentation du nombre de nos concitoyens de confession musulmane. Il est nécessaire qu’ils puissent vivre leur foi librement et dignement.
Or chacun sait ici que ce n’est pas toujours le cas, que ce n’est pas vrai partout sur le territoire de la République. La question des lieux de culte est donc légitime ; nous avons le devoir d’aider nos concitoyens d’origine musulmane à résoudre ce problème.
Et pour ce qui est du respect du pacte républicain, qui n’est pas compatible avec le communautarisme, la question doit être posée sans tabou et sans stigmatisation, comme nous l’avons fait d’ailleurs en prenant nos responsabilités sur le problème du voile intégral.
Célébrer, monsieur de Charette, les mérites de la laïcité au moment où souffle un vent de liberté dans le monde arabe, c’est en réalité être utile à tous ceux qui souhaitent dégager un équilibre entre le temporel et le spirituel. Débattre de la laïcité, ce n’est pas être à contre-courant de l’histoire ; c’est au contraire apporter des réponses à la quête d’identité et de liberté des peuples.
"
Une réponse qui n'a donc rien à voir avec l'attaque relayée par Thibault de la Tocnaye.
Ce 1er mars 2011, François Fillon répondait à une question du député du Nouveau Centre Hervé de Charrette. L'élu de Maine-et-Loire qui s'inquiétait de l'organisation d'un débat sur la place de l'islam en France. "Tout fait craindre que ce débat ne conduise à stigmatiser les musulmans de France, à les montrer du doigt", avait lancé le député au Premier ministre, s'interrogeant sur l'opportunité d'un tel débat "au moment où le monde arabe s’est mis en mouvement, dans un élan historique vers la liberté et la démocratie".