SUPER BINGO - Depuis l'annonce de sa candidature à la primaire de la droite, François Fillon a des éléments de langage bien rodés. Si on devait les formuler en une seule phrase, ça donnerait quelque chose de ce style : il ne faut pas croire les sondages car les Français n'aiment pas les scénarios écrits d'avance par les élites du système et finissent par choisir le programme le plus sérieux, radical, pour changer en profondeur un pays à la dérive après cinq ans de gouvernance socialiste (et vive de Gaulle !).
Alors bien sûr, le vainqueur de la primaire ne les formule jamais tous en même temps car, comme le démontre ce qui précède, c'est un tout petit peu indigeste. Mais donnez-lui un peu de temps - oh pas beaucoup, 10 minutes suffiront - et il les enchaînera avec aisance. C'est justement ce qu'il a fait lors de ses vœux à la presse, depuis son tout nouveau QG de campagne, mardi 10 janvier.
Comme l'élection présidentielle ne fait que commencer, vous risquez d'entendre ce qui suit assez souvent dans la bouche de l'ancien Premier ministre ou de ses soutiens. Alors, autant être prévenus et avoir sous la main une petite fiche bingo pour les prochaines soirées électorales :
La vidéo en question :
# "Scénarios" pré-établis et majorité "silencieuse"
François Fillon dénonce à l'envi les "caricatures" de la presse et de ses opposants politiques au sujet de son programme. Mais c'est par un petit mot *gentil* à l'égard des journalistes venus en masse rendre compte de cette prise de parole qu'il a débuté ses vœux : "Vous serez, vous journalistes, sur la brèche, au service de l'information des Français. Je ne doute pas que notre relation sortira renforcée de ce compagnonnage, même si je sais que je ne suis pas pour vous un client facile. Vous devrez faire, en 2017 comme avant, avec ma réserve, avec mes sourcils broussailleux... dur travail !"
Cela posé, il était bien temps de commencer à dérouler ses punchlines favorites. Les premières concernent justement ce "microcosme" médiatico-politico-parisien qui n'a pas su analyser sa montée en puissance et sa victoire à la primaire, accaparé par le duel annoncé entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Un petit monde qui est évidemment, selon lui, déconnecté de la réalité des Français et de cette majorité "silencieuse" que lui connaît pour être allé à sa rencontre :
"2017 va réclamer beaucoup de lucidité de notre part à tous. Les résultats de la primaire doivent être médités : méfiez-vous des scénarios écrits d'avance. Les grilles de lecture du microcosme ne sont plus celles de cette France silencieuse et fiévreuse que j'ai sillonnée pendant trois ans. Bienvenue dans l'insondable et dans les entrailles d'un pays à cran qui cherche des solutions à ses difficultés.
"
# Le "peuple" contre les "élites"
Par opposition, François Fillon se veut donc le porte-voix d'un "peuple" qui reprend sa destinée en main et qu'il se propose de "guider", là où les "élites" (spoiler : il n'en fait pas partie) chercheraient à le combattre :
"En 2017, je veux que nous nous donnions les moyens de la puissance française pour rester maîtres de notre destin, d'abord chez nous, ensuite en Europe et sur la scène internationale. [...] L'élection de 2017 doit donc être le point de départ d'un peuple qui repart à l'offensive.
[...] Il existe en France une volonté de changement que les élites sous-estiment, quand elles ne la combattent pas pour conserver leurs privilèges. Cette volonté peut être extraordinaire si nous savons la guider vers des changements inédits, des changements solidement préparés en amont [...].
"
# "Système" et "caricatures"
Plus loin, il pourfend aussi "l'establishment" et le "système" (spoiler : il n'en fait pas partie non plus, même s'il est élu depuis qu'il a 27 ans) et leurs "caricatures" (peut-être son mot-clé le plus récurrent) :
"Il y a deux mois, j'étais pas le candidat de l'establishment, eh bien j'ai pas l'intention de le devenir. Et donc je vais repartir sur le terrain dès demain, replonger dans le quotidien des Français pour les écouter, les convaincre et les rassembler.
[...] Certes la radicalité et la franchise de mon projet m'exposent aux critiques et aux caricatures de ceux qui sont mous et qui sont flous [coucou François Hollande, ndlr]. Contre le changement, le système se rebiffe et il use des arguments les plus fallacieux.
"
# "La gauche" alliée à "l'extrême droite"
Dans cette affaire, François Fillon (et le peuple qu'il veut représenter) ont évidemment des adversaires (en plus des "élites" et du "système", s'entend). Avantage : ils ont un nom, un visage et ils gouvernent. Ce sont donc "François Hollande et ses camarades socialistes", "la gauche" et son "acolyte", "l'extrême droite". Seuls lui et les siens se dressent contre tout ce beau monde :
"François Hollande et ses camarades socialistes n'ont aucune leçon à donner à l'opposition. [...] Franchement, quels brevets nos adversaires ont-ils pour jouer les professeurs d'économie, les sauveteurs de notre modèle social ou les vigies de la République ? Aucun !
[...] Contre le redressement national, mes adversaires ont rédigé leurs tracts : 'sang et larmes', 'purge', 'casse sociale', et pourquoi pas l'apocalypse ? Mais la casse sociale elle est là, elle est sous vos yeux, chaque jour depuis 5 ans. Et pourtant rien n'y fait. La gauche nous rejoue le même film : elle instrumentalise la peur contre tout changement, avec maintenant pour acolyte l'extrême droite qui joue la même partition que l'extrême gauche.
"
# On va tous mourir
On dépasse aussi parfois le cadre du simple élément de langage pour renouer avec ce qui tient plus du "style Fillon", soit une franchise qui l'amène à dresser un tableau assez peu angélique de la situation actuelle. Car si lui ne promet donc pas "l'apocalypse" comme certains aimeraient le faire croire, c'est peut-être parce qu'on la vit déjà plus ou moins (notez la logique puisque c'est de la faute de ses "adversaires" de gauche) :
"Derrière ces postures, le chômage et la pauvreté augmentent, nos solidarités se délitent et la faillite nous guette.
[...] La croissance est maigrelette, le chômage nous gangrène, la paupérisation s'étend, la dette nous vampirise, l'extrême droite a engrangé des succès inédits.
"
# Qui c'est le patron (coucou de Gaulle) ?
Il est, vous l'aurez compris, grand temps d'en finir avec tout ça, ce qu'il se propose de faire. Et ça tombe bien car il est un vrai leader. La preuve ? Il a d'abord remis en ordre de bataille son parti et ses alliés pour mener le combat qui vient :
"Je m'étais fixé trois objectifs : rassembler après les primaires [sic] toutes les forces et les sensibilités de ma famille politique, c'est fait ; unir la droite et le centre autour de ma candidature, c'est fait [hormis François Bayrou, ndlr] ; mettre en place une équipe de campagne ouverte à tous, c'est fait. Maintenant, nous sommes collectivement en ordre de marche.
"
Voilà pour son camp. Mais un vrai chef ne voit-il pas au-delà des frontières partisanes, à l'instar, *au hasard*, du Général de Gaulle ? Eh bien là aussi cela tombe bien, puisqu'il en est à tout le moins l'héritier :
"Voilà le redressement du pays, la relance de l'Europe, l'influence internationale. Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle. Certes, mais précisément. Il se peut, si les électeurs en décidaient ainsi, qu'un gaulliste prenne les commandes au mois de mai.
"
# "Racines", civilisation et identité
Un gaulliste mais aussi un chrétien comme il l'a récemment revendiqué, présentant sa foi comme une garantie d'une politique respectueuse de la "dignité de la personne humaine". S'il n'a pas directement évoqué la religion ce mardi, François Fillon a tout de même fait référence aux "racines" qu'un pays doit avoir "pour gagner le futur" et mis en garde contre un possible risque civilisationnel en Europe :
"J'ai la conviction que la France et la civilisation européenne traversent une période décisive.
"
Voilà, vous êtes arrivés au bout de ce petit manuel du discours filloniste. Bonne campagne !