C’est une réforme importante de la justice pénale que l’Assemblée s’apprête à voter définitivement jeudi 12 janvier. Selon la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, les délais de la prescription pénale seront doublés. Pour un délit, elle devrait ainsi passer de trois à six ans et, pour un crime, de dix à vingt ans.
Des députés non-inscrits (Eva Sas, Laurence Abeille, Brigitte Allain, Danielle Auroi, Michèle Bonneton), des ex-EELV (Isabelle Attard et Noël Mamère) et un ex-PS (Philippe Noguès) ont déposé un amendement à la proposition de loi lundi 9 janvier afin que "la prescription de l’action publique des délits mentionnés aux articles 222-27 à 222-31, 222-32 et 222-33 du code pénal (en matière d’agressions sexuelles, d’exhibition sexuelle et de harcèlement sexuel, ndlr) s’applique aux faits commis moins de six ans avant l’entrée en vigueur de la présente loi et après l’entrée en vigueur de la présente loi".
Ces députés proposent donc une loi avec effet rétroactif, soit une loi qui s’applique à des situations juridiques constituées avant sa mise en vigueur. Ils ne s’en cachent pas. "Cet amendement vise à compléter le doublement du délai de la prescription pour les délits d’agressions sexuelles mentionnés aux articles 222‑27 à 222‑33 du code pénal, en le rendant rétroactif au moment de l’entrée en vigueur de la présente proposition de loi", écrivent les signataires dans l’exposé sommaire.
Problème : comme le rappelle le constitutionnaliste Didier Maus joint par le Lab, "c’est impossible". "La jurisprudence est claire : en matière pénale, la loi est applicable pendant 3 ans -bientôt 6 ans donc- à partir du délit commis. Depuis 1789, aucune rétroactivité en matière pénale n’est possible. C’est l’un des principes essentiels en matière de liberté". Cet amendement, qui sera examiné jeudi 12 janvier, ne passerait donc jamais l’étape du Conseil constitutionnel si jamais il était adopté.
Pour les signataires de cet amendement, il s’agit de permettre aux victimes de bénéficier d’un délai supplémentaire afin de porter plainte, alors que le délai actuel est jugé trop serré pour dénoncer ces actes. Comme ils le rappellent dans leur exposé sommaire, "toutes les enquêtes démontrent que les victimes d’agressions sexuelles rencontrent des difficultés les empêchant à mettre des mots sur la violence vécue, et à plus forte raison de déposer une plainte".
Joint par le Lab, la députée écologiste Danielle Auroi estime que cet amendement "se place du côté des victimes" :
"On veut doubler le temps de prescription car énormément de victimes ont du mal à faire les démarches nécessaires donc il s’agit de leur donner plus de temps pour retarder le délai de prescription.
"
L’élue EELV reconnait que l’effet rétroactif est anticonstitutionnel. "La loi ne le permet pas pour le moment mais il suffit de faire en sorte que la loi le permette un jour. La rétroactivité d’une loi est vécue comme dangereux en France mais les agresseurs sexuels profitent de la non-rétroactivité. Il faut au moins que le débat ait lieu".
Pour les signataires de cet amendement, il s’agit donc de marquer le coup plusieurs mois après l’affaire Baupin. Le député écologiste est en effet dans le viseur. En mai, des élues avaient accusé l’ancien vice-président EELV de l’Assemblée d’harcèlement et d’agressions sexuelles, notamment la députée Isabelle Attard, qui a signé cet amendement, avant que d'autres témoignages sortent. Pour la plupart des victimes de Denis Baupin, les faits sont actuellement prescrits, ce qui lui permet donc de ne pas être passible de poursuites. Danielle Auroi nie toutefois que cet amendement cible le député écologiste de Paris qui siège désormais en tant que non inscrit : "Le cas Baupin est loin d’être un cas isolé. Cette affaire a permis de révéler des pratiques bien plus courantes", souligne-t-elle.
[Edit 12 janvier] Retrait des noms de Cécile Duflot et Sergio Coronado qui contestent avoir signé cet amendement.